Manuel Valls va t il réussir à mettre fin au mouvement des intermittents à la veille des festivals d’été ?
Les intermittents du spectacle sont en grève. Ils protestent contre la réforme de leur statut négociée par les partenaires sociaux. Le Premier ministre Manuel Valls a pris position sur le sujet dans un discours prononcé jeudi. « Sans culture la vie n’est que sécheresse » ; « la convention doit être agrée » ; « bâtir un cadre stabilisé et sécurisé » ; « mesure transitoire » Voici cette position in extenso.
Le Gouvernement que je dirige a une responsabilité et une méthode. La
responsabilité, c’est celle de prendre des décisions pour que notre pays avance. La
méthode, c’est celle du dialogue social, de l’écoute. Nous le faisons et nous le ferons
avec les partenaires sociaux parce que c’est ainsi que nous pourrons conduire les
réformes nécessaires au pays.Et ce que nous affirmons avec Aurélie FILIPPETTI, avec François REBSAMEN, c’est
que notre pays ne peut pas avancer sans la culture ; sans les artistes, les créateurs, les
interprètes, les techniciens, qui, chaque jour, mettent l’œuvre, la création, l’émotion,
la sensibilité, au cœur de nos vies.Chaque année, des milliers de spectacles sont donnés, partout en France, dans le
cadre des festivals. Depuis cette intuition fabuleuse de Jean VILAR à Avignon, les
festivals sont devenus de vrais succès populaires ! De même, chaque année, un
millier de représentations lyriques attirent près d’un million et demi de spectateurs.
Les cinémas font 200 millions d’entrées annuelles, dont près de 40% pour voir des
films français ; c’est une performance inégalée et enviée en Europe. Enfin, chaque
année, près de 40 000 représentations de spectacles de variétés et de musiques
actuelles ont lieu.Cette rencontre entre l’art et le public se fait sur tout le territoire, grâce à nos
compagnies théâtrales, nos compagnies chorégraphiques, nos cinémas.La France, c’est la culture. La France aime la culture. Et ce gouvernement est aux
côtés de celles et ceux qui la font vivre.Depuis plus de 50 ans – c’est l’honneur de notre pays ! – la France a su trouver un
consensus pour donner à la culture toute sa place dans nos politiques publiques et
dans notre société. Pour qu’elle ne soit pas le privilège de quelques-uns, mais un bien
commun, qui puisse être accessible au plus grand nombre.
Sans culture, la vie n’est que sécheresse. La culture, ce n’est pas un supplément
d’âme. Non ! C’est l’âme de notre pays. Elle innerve notre société. Elle en assure la
cohésion. Elle rassemble. Elle fédère. Elle dit beaucoup de ce que nous sommes. La
culture, c’est l’épanouissement, c’est l’émancipation des individus.Oui, nous avons besoin de nos artistes. Et je le dis plus encore au moment où notre
société est traversée par les doutes, par les tentations de repli, de rejet. La culture,
c’est une ouverture à l’autre. Une ouverture sur le monde. C’est aussi un patrimoine
et notre identité.Soutenir la culture, c’est aussi investir dans un secteur performant aux retombées
économiques et touristiques évidentes. On l’oublie trop souvent, notre culture est
l’un de nos grands secteurs d’excellence. C’est plus de 3 % de notre PIB, et de très
nombreux emplois. C’est aussi une source de vitalité, de dynamisme, d’attractivité
pour nos territoires et nos villes qui, aux côtés de l’Etat, développent des politiques
culturelles souvent très ambitieuses.Face à la mondialisation et à la diffusion massive des produits culturels, plus que
jamais, la France doit soutenir la culture, défendre son exception.Le spectacle vivant, le cinéma, l’audio-visuel, la musique, ce sont des hommes et des
femmes, artistes et techniciens. Beaucoup sont ce que l’on appelle des intermittents.
C’est-à-dire qu’ils sont, par la nature même de leur activité, dans une certaine
précarité, sans la protection qu’apporte – même si elle n’est pas absolue – un CDI.Pour répondre à cette condition très particulière de l’intermittent du spectacle, les
partenaires sociaux ont développé, depuis des décennies, une réponse originale et
protectrice : les annexes 8 et 10 de l’assurance-chômage. Elles permettent d’adapter le
système de l’assurance-chômage aux professions du spectacle.Ce régime particulier des annexes 8 et 10 nous le devons, je veux le rappeler – et
personne ne doit l’oublier – aux partenaires sociaux qui ont fondé l’UNEDIC et
qui, convention après convention, les ont reconduites. Toute la profession doit être
reconnaissante de cette solidarité interprofessionnelle qui s’exerce.Au fil des années, ces annexes ont pris une place de plus en plus importante dans
l’économie de la culture, avec c’est vrai – il faut le reconnaitre – des dérives et des
abus. Des dérives et des abus qui ont paradoxalement contribué à « précariser » les
emplois.Avec des conséquences évidemment sur l’équilibre de l’assurance chômage dans son
ensemble ; même s’il faut récuser l’idée que chaque segment de l’assurance chômage
doit être en lui-même équilibré. Ce serait absurde dans un système basé sur la
solidarité interprofessionnelle …Chaque négociation de la convention d’assurance chômage ouvre donc un débat
toujours tendu sur les annexes 8 et 10, créant une forme de menace périodique sur
sa pérennité.Le 22 mars dernier, les partenaires sociaux interprofessionnels ont signé un nouvel
accord sur l’assurance-chômage, qui a renouvelé les annexes 8 et 10 et modifié
certaines de ses règles, je vais y revenir.Mais tout d’abord, je veux rappeler que celle-ci ne concerne pas que les
intermittents : elle fixe les règles de l’assurance-chômage pour l’ensemble des
salariés du secteur privé en France.C’est là, chacun l’a compris, la traduction de la gestion paritaire de l’assurance
chômage qui est un des piliers de notre modèle social depuis 1958. C’est la
responsabilité des partenaires sociaux que de fixer ces règles, ceux qui ont signé
l’accord l’ont assumée, et ils l’ont assumée – je veux le dire – courageusement dans
une situation difficile.C’est cette convention qui, par exemple, donne corps aux droits rechargeables pour
les chômeurs, accroissant les droits des plus précaires.La convention doit être agréée :
Je l’ai déjà dit, et je le confirme : cette convention doit être agréée, et elle sera
agréée.Il y va du respect de la signature des partenaires sociaux majoritaires qui l’ont signée.
Ceux qui prennent la responsabilité de signer peuvent compter sur le respect par le
Gouvernement des accords négociés dans le cadre de la loi.Je l’ai dit à l’occasion de ma déclaration de politique générale : l’essentiel, c’est la
confiance. Et à quelques jours de la Conférence sociale, cela vaut aussi pour les
relations du Gouvernement avec les partenaires sociaux. C’est un bien trop précieux
pour être rompu au gré des circonstances du moment, fussent-elles difficiles.Mais respecter les partenaires sociaux et le dialogue social, c’est aussi accepter de
regarder les contradictions d’un dispositif – les annexes 8 et 10 –qui montre
aujourd’hui ses limites, au travers d’un malaise violent et profond exprimé très
largement dans la profession. Les partenaires sociaux sont d’ailleurs les premiers à
le dire.Que nous disent au fond les intermittents, les directeurs de théâtres et de festivals, les
grands noms de la culture qui prennent la parole, depuis quelques semaines, au-delà des questionnements sur l’accord du 22 mars. Ils nous disent qu’il n’est pas
possible que le régime de l’intermittence soit perpétuellement en sursis. Que si, à
l’insécurité des métiers, s’ajoute l’insécurité de la couverture du risque chômage,
alors la coupe est pleine.Ce n’est pas, en effet, la première crise des intermittents. A chaque renégociation de
la convention d’assurance chômage, la question se pose et les crispations renaissent.
En 1992 déjà. En 2003, la crise était violente : des intermittents étaient exclus du
régime. Aujourd’hui, les choses sont bien différentes – pas un intermittent ne voit
son accès aux annexes remis en cause par l’accord du 22 mars – mais la tension se
porte sur certains paramètres.Je le dis : nous ne pouvons plus fonctionner comme ça !
Le député Jean-Patrick GILLE – que je remercie d’avoir accepté il y a dix jours une
mission de dialogue et de proposition – vient de me remettre ses conclusions dans
un rapport « Une nouvelle donne pour l’intermittence ». Et l’une des plus
importantes est là : tout le monde reconnait – patronat, syndicats signataires,
syndicats non signataires, organisations de la profession, administration – que la
façon de traiter la question des intermittents n’est pas satisfaisante.C’est aussi ce qu’ont dit les signataires de l’accord UNEDIC du 22 mars qui
appelaient à une discussion tripartite, avec l’Etat, sur les questions liées à
l’intermittence y compris l’indemnisation du chômage.Il faut un nouveau cadre stabilisé et sécurisé :
Il nous faut rompre avec ce cycle infernal de crises et de tension, et bâtir un cadre
enfin stabilisé et sécurisé.Un cadre enfin stabilisé et sécurisé, cela veut dire un dispositif qui associe la
solidarité interprofessionnelle – les partenaires sociaux représentatifs – et la solidarité
nationale – l’Etat au titre de sa politique culturelle. Il est temps de sortir de
l’hypocrisie et de reconnaître ce que les partenaires sociaux disent d’ailleurs depuis
longtemps : ce dispositif original est une forme indirecte de soutien à la création
artistique et il ne peut reposer entièrement sur la seule solidarité interprofessionnelle,
même si elle en reste le cœur. L’Etat doit aussi assumer sa place autour de la table
pour ce sujet-là, bien particulier, y compris pour le financement.Il va falloir inventer, innover.
Toutes les propositions, toutes les expertises d’où qu’elles viennent – elles sont
nombreuses – seront expertisées et discutées pour repenser dans son ensemble le
dispositif. Ce travail était demandé par les signataires de l’accord du 22 mars, il était demandé
par le « comité de suivi », il fait partie des recommandations que Jean-Patrick GILLE
vient de me remettre : il faut s’y engager maintenant et concrètement.Pour faciliter le dialogue et faire converger si possible les points de vues, j’ai décidé
de confier l’animation de ce travail à une équipe de trois personnalités :– Une femme de culture, une femme de théâtre, Hortense ARCHAMBAULT qui
a été pendant dix ans à la tête du festival d’Avignon. Je la sais très sensible à la
création, aux écritures contemporaines, à l’intermittence et à la culture au sens
large.
– Deuxième personnalité : un expert du dialogue social, Jean-Denis
COMBREXELLE, conseiller d’Etat, ancien Directeur général du travail ;
– Enfin, un parlementaire qui connait très bien ces questions, Jean-Patrick
GILLE, que je remercie d’avoir accepté de « rempiler » une troisième fois sur
cet épineux – mais passionnant – sujet.Leurs travaux commenceront sans attendre et devront aboutir à des propositions
concrètes d’ici la fin de l’année.Cette redéfinition prendra nécessairement un peu de temps, jusqu’à la fin de
l’année, peut-être un peu au-delà pour la traduction opérationnelle et
règlementaire des choses.Une mesure d’apaisement de portée immédiate : le nouveau différé ne
s’appliquera pas.En attendant les règles des annexes 8 et 10 issues de l’accord du 22 mars doivent
s’appliquer.Mais s’agissant de la question du différé d’indemnisation supplémentaire qui a été
introduit et qui a cristallisé l’essentiel de la contestation de ces dernières semaines,
nous avons décidé une mesure d’apaisement. Il ne faut pas que le différé focalise
l’incompréhension, par l’incertitude qu’il crée dans la gestion des droits à
l’indemnisation des intermittents.C’est pourquoi l’Etat s’engagera dès le 1er juillet, allant ainsi plus loin que les
préconisations de Jean-Patrick GILLE. Il prendra donc lui-même en charge ce
différé, c’est-à-dire qu’il le financera pour que Pôle emploi n’ait pas à l’appliquer
aux intermittents concernés.En d’autres termes, les intermittents concernés ne verront pas de changement de
leur situation par rapport à la situation actuelle, l’effet du différé sera totalement
« neutralisé » par cette intervention de l’Etat. Cette mesure transitoire n’a qu’un objet : apaiser les craintes pour rétablir un
dialogue serein et se donner les moyens d’une vraie refondation. Car c’est cela
l’essentiel pour l’avenir.* *
Enfin, s’il est important de veiller à la pérennité de l’indemnisation du chômage des
intermittents du spectacle, il est plus important encore de promouvoir l’emploi dans
le champ culturel.Soutien à la création et au spectacle vivant :
C’est pourquoi, en plein accord avec le Président de la République, nous avons pris
une décision importante : les crédits budgétaires consacrés à la création et au
spectacle vivant seront maintenus, intégralement, en 2015, 2016 et 2017. C’est un
effort très significatif dans cette période de diminution de la dépense publique, et il
atteste de l’importance que nous accordons à la création culturelle.**
Je remercie les deux ministres, François REBSAMEN et Aurélie FILIPPETTI, qui sont
pleinement engagés et œuvreront, avec l’ensemble des partenaires, à construire cette
réforme globale qui s’impose. Je remercie une nouvelle fois Jean-Patrick GILLE qui a
permis par son travail d’ouvrir la voie à cette refondation souhaitée par tous
désormais.
* *Mesdames et messieurs,
Vous le voyez, le Gouvernement a pris très au sérieux le malaise qui s’exprime parmi
les intermittents du spectacle depuis plusieurs semaines, et les alertes des
responsables de structures et de festivals, et des élus.Les mesures que je viens de vous présenter concilient trois exigences :
• Le respect des partenaires sociaux signataires d’un accord qui sera agréé ;
• La recherche d’une solution durable, structurelle, juste, qui évite à l’avenir la
répétition des crises et des menaces ;
• Le signe donné de façon immédiate pour retrouver une sérénité nécessaire, et
répondre à une attente.J’estime que ces décisions apportent des réponses sérieuses et très substantielles.
J’en appelle à la responsabilité de chacun, pour que soient maintenant levées les
menaces qui planent sur le bon déroulement des festivals de l’été. Il y va de
l’intérêt des intermittents eux-mêmes, de tous les salariés concernés, des
structures, des villes et territoires concernés, de toute la collectivité.
Aujourd’hui, nous redisons notre attachement à la création. Nous réaffirmons aussi
le respect que nous avons pour les artistes, pour toutes celles et tous ceux qui font
vivre la culture ; qui lui donnent une place dans nos vies.Soutenir les artistes, soutenir la culture, c’est aimer la France. Car la France, patrie
des beaux-arts et des belles lettres, n’est jamais plus belle, jamais si grande, que
quand sa culture, rayonne, resplendit, attire et rassemble.Je vous remercie.