Alors que Franck Cammas aborde en confortable position de leader une dernière « ligne droite » bien tortueuse d’une Route du Rhum au profil cette année fort peu conventionnel, Francis Joyon, au sortir de 36 heures éprouvantes et peu gratifiantes en terme de gain vers le but, conserve toute sa motivation et toute sa combativité. « Les 8 heures passées pratiquement à l’arrêt hier, alors que tous les fichiers me promettaient du vent, ont sonné le glas de mes chances de victoire » admettait-il ce matin. « Ma route aura été moins gratifiante que prévu, mais néanmoins très intéressante. » Tous ses espoirs résident dorénavant dans l’établissement attendu d’un flux enfin stabilisé au secteur Sud-Est, qui lui permettrait de rallier sur un seul bord la Guadeloupe. Restera ensuite à bien négocier le tour de la Guadeloupe et le passage obligé à Basse Terre. Francis rêve encore d’un « mano a mano » à quelques encablures de la ligne d’arrivée de Pointe à Pître avec le Sodebo de Thomas Coville.
« C’est certainement une de mes plus rudes Route du Rhum » lâche dans un sourire Francis Joyon à l’évocation des dernières 36 heures usantes, éprouvantes, démoralisantes, que le colosse de Locmariaquer vient de vivre. « Ce fut pire que le cauchemar que j’avais vécu l’an passé sous le cap de Bonne Espérance lors de l’établissement de mon record entre Lorient et l’île Maurice ». Le recordman du tour du monde à la voile en solitaire ne manque pas de comparaisons pour décrire ces successions incessantes de grains tropicaux, sous un ciel de pot au noir, qui ont soumis 36 heures durant son géant IDEC à l’infernale alternance de pétole noire et de coups de vent brutaux, jusqu’à plus de trente noeuds! « J’étais ramassé dans mon cockpit, écoute de grand voile dans une main, et chariot dans l’autre » raconte Francis d’une voix toujours aussi paisible malgré le contexte, « J’avais un petit ORC à l’avant, un ris dans la grand voile et je n’ai cessé de reprendre mes réglages quand le vent tombait, pour tout larguer en catastrophe quand IDEC montait très haut sur un flotteur dans des bourrasques à 33 noeuds! ». Autant dire que dans ces conditions toute l’énergie du marin est allée à la préservation, non seulement du bateau, mais, et c’est peut-être l’angle admirable de ce fait de mer, à la volonté de progresser malgré tout toujours et encore vers la marque, là où d’autre marins auraient tout affalé et sacrifié la performance à la sécurité. Le déficit en milles vis à vis du leader Franck Cammas, et de son dauphin actuel Thomas Coville a ainsi augmenté, mais jamais Francis Joyon, au plus fort du marasme, n’aura perdu de vue la course, et sa volonté de jouer à fond les quelques cartes qu’il détenait.
Cet épisode pénalisant semble aujourd’hui passé, et Francis, qui reconnait n’avoir sacrifié que deux ou trois heures depuis deux jours sur l’autel de sa récupération physique, jette ses dernières forces dans une bataille qui s’annonce épique face à son quasi sistership Sodebo, plan Cabaret Irens, plus long de 2 mètres et doté lui, d’un mât inclinable. « Si le flux de sud est se maintient, on peut envisager un final très serré entre Thomas et moi » reconnait le skipper d’IDEC. Thomas Coville conserve à la mi journée 70 milles d’avance, à 450 milles de l’arrivée. Sa progression, similaire à celle de Francis se fait par à coups. Si la victoire de Franck Cammas ne semble ce soir plus susciter la moindre contestation, le duel des deux trimarans IDEC et Sodebo pour le gain de la seconde place mérite le qualificatif de « .. géant ».