A quelques mois de l’ouverture du procès du drame d’AZF, la polémique entre les avocats du groupe Total et un collectif de victimes vient de rebondir aujourd’hui.
L’explosion de l’usine AZF avait causé la mort de 30 personnes et blessé plusieurs milliers de toulousains. Des milliers de riverains ont subi de graves préjudices. Et certains se sont même retrouvés sans abris le lendemain du drame.
Dans une tribune parue ce jour dans le journal lemonde, les deux avocats du groupe Total exposent leur « conception de la justice ». Le Collectif plus jamais ça ni ici ni ailleurs qui se dit visé par cette tribune des Me Soulez Larivière et Simon Foreman, ont souhaité répondre. Voici leur position in extenso adressée ce jour à la rédaction de TOULOUSE 7.com
Dans la page «Débats» du journal «Le monde», dans son édition du 5 juillet, deux avocats s’interrogent sur les missions du service de la justice en France: «Comprendre ou juger?» demandent-ils. (http://www.lemonde.fr/archives/article/2008/07/04/comprendre-ou-juger-par-daniel-soulez-lariviere-et-simon-foreman_1066411_0.html)
L’association «Plus jamais ça, ni ici, ni ailleurs», regroupant des sinistrés d’AZF, concernée, voire visée au premier chef par cette interrogation, peut apporter une pierre à l’édifice de la réponse.
En premier lieu, il nous paraît assez impossible de confier à la justice la mission de juger et donc de sanctionner, sans lui confier aussi la mission de comprendre. L’un nous paraît aller difficilement sans l’autre.
Ce que semblent dire les auteurs, c’est que la pédagogie en direction des victimes n’est pas dans les missions de la justice. Qu’il est préférable de confier ce travail à une enquête publique largement médiatisée, qui n’interférerait pas avec la dimension pénale des tribunaux, au prétexte que la pédagogie étant forcément décevante pour les victimes, il est préférable de se résigner à l’abandon de cette mission, «inutilement» selon les auteurs, confiée à la justice par les victimes. Leur proposition est de l’externaliser à une commission en la vidant de tout pouvoir de sanction! Ainsi la société, et les victimes, satisferaient leur curiosité sans que pour autant cette connaissance devienne porteuse de sanctions. Une connaissance stérile, c’est ce qu’on nous propose. Est-ce un message que les auteurs veulent faire passer aux associations de sinistrés avant le procès d’AZF?
Il se trouve que dans les deux mois qui ont suivi l’explosion d’AZF, en 2001, il y a eu une enquête parlementaire, (http://www.assemblee-nationale.fr/11/dossiers/installations_industrielles.asp) un rapport demandé par le ministère de l’environnement dit «Rapport Barthélémy», (http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/014000809/index.shtml) ainsi qu’un Débat National Sur les Risques Industriels» (http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/024000324/index.shtml). Nous avons donc pu constater que la procédure des commissions d’enquête publique très médiatisées, proposée par les deux auteurs, a bien eu lieu au sujet de l’explosion d’AZF.
Quand on saura qu’une enquête de l’inspection du travail, accablant d’ailleurs la mise en oeuvre de la sécurité et la gestion de la sous-traitance dans l’usine dans les années précédant l’explosion, une enquête interne à l’entreprise, une enquête des organisations de salariés du site chimique, aidées d’un organisme spécialisé, et bien sûr, une enquête diligentée par les services de la justice et de la police, ont aussi été produites, on aura une idée du nombre des propositions d’explications de « ce qui s’est passé » avant l’explosion. Pour autant, du point de vue des associations de sinistrés, c’est bien à la justice au cours du procès, de dire ce qui est du logique, du plausible, du réel, et ce qui n’est que du fantasme, du déni ou de la mauvaise foi. Sont-ce des rêves dont les auteurs de ce texte souhaiteraient nous prévenir qu’ils nous sont inacessibles? En tous cas, nous ne voyons pas bien en quoi notre exigence « estropie l’institution judiciaire » comme le conclut leur article…..
Il serait bien plutôt souhaitable que la justice dispose de moyens bien supérieurs à ce qu’ils sont. Lors de l’instruction, de très nombreuses demandes effectuées par le défenseur de « Grande Paroisse » ont orienté la justice vers des pistes fumeuses ou dilatoires, écarté les regards de ces rapports publics et gratuits et consommé des moyens humains et économiques gigantesques, disproportionnés par rapport aux réels besoins de compréhension de la procédure industrielle créatrice des conditions de l’explosion. L’instruction s’est beaucoup intéressée à « l’étincelle chimique » sans trop interroger les pratiques de management, alors que les rapports publics cités plus haut avaient mis en lumière la part de responsabilité de la direction économique du groupe. Il nous paraît donc que ce n’est pas en déchargeant la justice de la mission de « comprendre » que réside la solution mais bien plutôt au contraire en lui donnant les moyens d’accomplir beaucoup mieux ce pour quoi la société l’a missionnée, à savoir favoriser l’éclosion de la vérité, et en tirer les conséquences. Ainsi les victimes ne seront pas déçues des résultats de la justice.D’autre part, dans ce texte, les propos exposés sur les « peines » respectives des victimes et des prévenus, contiennent quelque chose de choquant: Comment oser proposer à la justice de regarder avec la même empathie les trente mille humains meurtris dans leur chair, dans leur psychologie et dans leurs biens, et une entreprise qui n’effectuera bien entendu pas une minute de prison et qui risque tout au plus de devoir verser une amende équivalent à deux minutes de ses profits annuels au cas où la justice la tiendrait pour totalement coupable?
En fait le texte « Comprendre ou juger? » est plutôt cohérent avec la ligne de défense du groupe Total, à l’oeuvre depuis le 21 septembre 2001 dans le dossier AZF, et dont le résumé pourrait être le suivant: le groupe Total paiera des dédommagements, mais il n’accepte d’être ni responsable ni coupable. L’évocation de la pratique rituelle des « boucs émissaires » ne peut qu’être limpide, de ce point de vue, et les associations de victimes d’AZF peuvent légitimement se sentir insultées d’une telle insinuation. Car le dossier judiciaire contient de nombreux éléments logiques, évidents, incontestables, soutenant une mise en danger délibérée de la vie d’autrui, et une forte présomption d’entrave à l’enquête.
Tout cela nous semble participer complètement de la stratégie tenue par le groupe Total et son défenseur depuis l’explosion, à savoir : produire de la confusion.
Collectif Plus Jamais ça ni ici ni ailleurs, le 6 juillet 2008.
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