intervention de Jacques Thouroude, président du groupe d’opposition régionale, devant l’Assemblée plénière du Conseil régional de Midi-Pyrénées ce matin sur le PROJET DE REFORME TERRITORIALE ET LA FUSION DES REGIONS.
Monsieur le Président, mes chers collègues,
Nous sommes appelés à débattre d’une réforme qui doit impacter durablement, et pour plusieurs générations, l’avenir de nos territoires.
Je voulais donc en préambule, dire le profond regret de notre groupe, que le débat sur un sujet aussi décisif pour la Région Midi-Pyrénées, en soit réduit à l’expression la plus minimaliste qui soit : 20 minutes, 2 feuillets de contribution écrite, 0 vote.
Je crois qu’aujourd’hui nous avons aujourd’hui deux projets de loi. Le premier traite du regroupement et des nouvelles limites des régions.
Le second porte sur la « nouvelle organisation territoriale de la République ».
Et malheureusement, nous sommes entrain de passer à côté de l’essentiel : le débat se focalise aujourd’hui sur le découpage géographique, qui est secondaire.
Alors que la question fondamentale est celle, assurément de la clarification des compétences, de l’articulation entre les collectivités et des moyens affectés.
La réforme intervient dans un moment où les collectivités locales sont plus déstabilisées que jamais, à la fois par les voltefaces permanentes sur l’acte III de la décentralisation, et en raison de la baisse drastique des dotations de l’Etat. Les voltefaces de l’Etat que j’évoquais jettent un doute sur la capacité de cette majorité à mener à bien la réforme qu’elle nous présente. Il y a même une suspicion : celle qu’en matière de décentralisation, ce gouvernement ne sait pas où il va.
Je prends trois exemples :
1 – Celui de la clause de compétence générale, qui avait été supprimée par la réforme territoriale de 2010.
Cette réforme territoriale de 2010 a été abrogée, et par la loi du 27 janvier 2014, on a rétabli la clause de compétence générale. Moins de 5 mois après, on la supprime à nouveau.
2 – Celui des départements.
Le 18 janvier 2014, à Tulle, le Président déclarait : « Les départements gardent donc leur utilité pour assurer la cohésion sociale et la solidarité territoriale. Et je ne suis donc pas favorable à leur suppression pure et simple comme certains le réclament. Car des territoires ruraux perdraient en qualité de vie, sans d’ailleurs générer d’économies supplémentaires, si l’on y supprimait le département. ». 5 mois après, la suppression des départements est programmée pour 2020.
3 – Celui des intercommunalités.
La réforme territoriale de 2010 avait fixé le seuil intercommunal à 5.000 habitants avec effet au 1er janvier 2014.
Le 2ème projet de loi Lebranchu, devait être présenté en Conseil des Ministres le 14 mai 2014, et portait ce seuil à 10.000 habitants.
Mais ce projet de loi n’a pas eu le temps d’arriver jusqu’à l’Elysée.
Juin 2014, nouveau projet, nouveau changement d’avis : le seuil est désormais fixé à 20.000,
Les collectivités sont déstabilisées par ces changements de cap permanents. Elles le sont également par la baisse des dotations. Il y a 3 ans, on ne parlait que de « gel » des dotations et vous dénonciez alors l’étranglement des collectivités. Que dire aujourd’hui à la vue des 11 milliards de baisse qui viendront se rajouter à ce que nous avons connu par ailleurs.
Les grandes collectivités, celles qui disposent des moyens les plus élevés, arrivent encore à dégager des marges de manœuvre. Encore que…
Mais dans les toutes petites collectivités, dans le monde rural, l’impact est considérable. C’est l’échelon de proximité, qui est le plus violemment atteint par la baisse des dotations, en particulier dans les territoires les plus fragiles, et avec des conséquences sévères sur l’investissement local, et sur l’activité des PME.
Aujourd’hui, l’objectif de ces petites collectivités est prioritairement de faire face à l’absence de moyens d’agir.
Que faire alors pour restaurer la confiance des collectivités et du pays ? Si le gouvernement et le Président de la République espèrent y parvenir avec ce projet de réforme, je crains pour ma part qu’il ne pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses.
Pour les régions, l’objectif est de leur donner un nouveau rôle et, je cite François Hollande, « une taille européenne ».
Je vous ai entendu vous-même, Monsieur le Président, citer souvent la Catalogne comme notre « concurrente ». Si l’on veut faire de nos régions les équivalentes des grandes régions européennes, la Catalogne, la Lombardie, les Länder du sud et de l’ouest de l’Allemagne, le regroupement géographique ne peut suffire. Ce n’est pas parce qu’on fabrique des grandes régions qu’on fabrique des régions puissantes.
Le budget des régions françaises est de l’ordre de 22 milliards d’euros, celui des régions italiennes, c’est plus de 170 milliards, celui des Länder, c’est près de 300 milliards. L’addition des budgets Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon se situe aux alentours de 2,3 Milliards d’euros. Le budget de la Catalogne, c’est environ 30 Milliards. On peut mesurer là l’écart qui nous sépare…
Naturellement, ces régions espagnoles, allemandes ou italiennes, interviennent sur des compétences beaucoup plus larges que les nôtres, dans des états fédéraux ou régionalisés.
Mais la question de la force de frappe budgétaire se posera dans nos domaines de compétences.
Un seul exemple : Pour la recherche et l’innovation, notre région consacre 25 millions d’euros par an. La Rhénanie-Westphalie, elle, y consacre près de 2 milliards d’euros. C’est à peu près l’équivalent de la totalité des dépenses d’action économique de l’ensemble des régions françaises. En l’absence de financement, la montée en puissance des régions françaises est aujourd’hui un vœu pieux.
Cette réforme soulève d’autres questions :
1 – Quelle complémentarité ou quelle concurrence et quelle articulation entre les régions et les métropoles ?
On voit se dessiner, avec la disparition programmée des départements, l’émergence d’une concurrence Régions / Métropoles que ce projet contribue à accentuer en instaurant une forme implicite de hiérarchie, au bénéfice des Régions. En l’occurrence, on ne clarifie pas, on complexifie.
La loi MAPAM (Modernisation de l’Action Publique et d’Affirmation des Métropoles) dit que les métropoles exercent de plein droit les compétences en matière de développement économique, de co-pilotage des pôles de compétitivité, de zones d’activités…
Dans le nouveau projet, les métropoles sont clairement inféodées aux régions en matière économique.
2 – Quelle complémentarité ou quelle concurrence, quelle articulation avec l’Etat ?
Aujourd’hui l’Etat transfère des charges aux collectivités, leur donne de nouvelles compétences, leur demande de se réformer. Mais que fait l’Etat, lui pour se réformer, à travers ses services déconcentrés présents dans les territoires ?
Puisqu’on stigmatise les doublons entre collectivités, sur quelles thématiques met-on fin aux doublons entre Etat et collectivités ?
3 – La suppression des départements qui n’est pas complètement assumée ajoute à l’imprécision.
Si certaines des compétences actuelles sont dévolues aux Régions (collèges, routes, transports scolaires), le gouvernement prend bien soin de ne pas se prononcer, à terme, ni sur l’action sociale, ni sur les services d’incendie et de secours, sur la gestion de l’eau.
Alors même que les départements ne parviennent plus à faire face, aujourd’hui, à ces dépenses, les transfèrera t’on au bloc communal/intercommunal ? Il faudra alors assumer les inégalités entre territoires qui en découleront. Est-ce que la Région sera aussi invitée à assumer une partie supplémentaire des compétences de proximité ?
L’incertitude qui pèse sur les territoires ruraux est lourde.
Vous l’avez dit à plusieurs reprises, Monsieur le Président, et je partage votre avis, nous devons avancer. Mais toutes ces questions en suspens relèvent, elles, d’une précipitation incompréhensible. Dans ce texte, il manque notamment un élément essentiel : comment finance-t-on les compétences transférées aux régions, leur montée en puissance ?
Devons-nous nous contenter de l’article 37 de la loi : « la compensation financière des transferts de compétences s’opère, à titre principal, par l’attribution d’impositions de toute nature, dans des conditions fixées par la loi de finances » ? La compensation financière des transferts sera t’elle intégrale ? Evolutive ? Envisage-t-on de donner des ressources fiscales sous la forme de nouveaux impôts ou de majoration des impôts actuels ?
Dans le contexte actuel :
– de plan d’économies de l’Etat,
– de recul des dotations des collectivités,
– du niveau sans précédent de la fiscalité dans notre pays
– et alors que la situation financière exsangue des départements ne permet pas sérieusement d’envisager de transférer une part de leurs recettes, je crains qu’en réalité, rien ne soit sérieusement arbitré, à ce jour, ce qui, pour une réforme d’une telle ampleur, pose problème.
Il y a, de toute évidence, un vrai problème de méthode, qui constitue une forme de péché originel de cette réforme.
Le 14 janvier 2014, il y a à peine plus de 5 mois, le Président sort du chapeau une diminution par deux du nombre des régions, et indique que celle-ci sera menée sur la base du volontariat et de démarches de rapprochement entreprises par les régions. Les régions avaient jusqu’au 30 juin 2015 pour faire leurs propositions.
Oui, nous partageons pleinement l’objectif de simplifier notre organisation administrative, illisible et coûteuse. Nous voulons donner à nos régions non seulement des périmètres pertinents, affranchis des petits arrangements nocturnes entre barons socialistes, mais aussi des ressources renouvelées et des compétences clarifiées et élargies.
Faut-il rappeler ici que la loi du 16 décembre 2010 avait précisément ouvert la voie en ce sens ? Cette loi instituait les conseillers territoriaux qui, tout en permettant de réduire de moitié le nombre d’élus, garantissaient le nécessaire lien de proximité entre les élus et leurs territoires. Cette même loi supprimait ensuite la clause générale de compétence pour les régions et les départements, offrant l’occasion unique de clarifier la répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités locales et de générer des économies substantielles dans la gestion des affaires locales. Il est regrettable que cette réforme novatrice et équilibrée ait été balayée par un esprit revanchard.
Nous aurions pu, comme nos collègues de Languedoc-Roussillon, exprimer par un vote notre volonté, nous qui représentons les Midi-Pyrénéens. Mais cela non plus, nous n’y aurons pas droit, alors qu’il s’agit, pour notre institution de la réforme la plus importante qui soit !
Il faut enfin évoquer, avant de conclure, le choix que Messieurs Hollande et Valls ont fait pour nous, celui du mariage avec Languedoc-Roussillon. Je voudrais en dire ceci : il y a d’abord des différences fondamentales entre l’économie de Midi-Pyrénées qui se construit sur des filières industrielles, et celle de Languedoc-Roussillon, plus fondée sur l’économie présentielle. Ces différences ne sont pas insurmontables, il y a des complémentarités à trouver, mais elles n’iront pas de soi.
J’observe en outre, que les postures actuelles ne faciliteront pas l’émergence d’un projet commun. Le temps que nous laisse le gouvernement pour préparer cette nouvelle donne est très court.
Il ne permet pas de se laisser aller à la comedia dell’arte.
Enfin, nous ne pouvons pas évoquer cette réforme sans parler de l’Aquitaine.
– Voici une région avec qui nous partageons deux pôles de compétitivité majeurs, Aerospace Valley et Agri SudOuest, et qui disposent donc de synergies de filières de niveau mondial ;
– Voici une région avec laquelle nous disposons de projets communs de développement des infrastructures de transport, notamment la LGV ;
– Voici une région avec laquelle nous pourrions travailler à l’émergence d’un véritable hinterland. Demandez à Hambourg ou à Brême ce que cela signifie en termes de développement économique et industriel.
– Voici une région avec laquelle nous avons déjà développé des habitudes de coopération, la marque Sud-Ouest France par exemple, mais aussi, dans cette Assemblée Plénière par exemple, sur la langue occitane.
– Voici enfin une région avec laquelle nous partageons la quasi-totalité du massif pyrénéen.
François Hollande écrivait dans sa tribune que la nouvelle carte des régions était fondée sur les volontés de coopération existantes. Il n’en est rien.
Vous-même, Monsieur le Président, avez déclaré, il y a quelques jours, dans une interview à l’Indépendant :
« Le rapprochement avec l’Aquitaine avait sa logique car ce sont deux régions qui ont un grand nombre de coopérations. On en a parlé avec Alain Rousset, le président d’Aquitaine. Je ne sais pas ce qui a entraîné le rapprochement avec le Languedoc-Roussillon … »
Ce que nous vous demandons officiellement, Monsieur le Président, c’est que, au regard de la logique qui invite à discuter avec l’Aquitaine, vous repreniez l’attache d’Alain Rousset, pour étudier sérieusement les opportunités de fusion avec cette région.
Si vous voulez une région puissante, de taille européenne, vous ne pouvez pas tourner le dos à l’Aquitaine. Mais dans le même temps, il faut entamer nos discussions avec Languedoc-Roussillon. Depuis le début de ce dossier, nous, élus régionaux, avons le sentiment que l’avenir de Midi-Pyrénées ne se décide pas dans cet hémicycle.
Nous sommes favorables à un regroupement des régions, s’il permet réellement de faire émerger une dynamique, et si une réforme permet aux régions de changer de braquet. C’est pour cela que nous sommes favorables à un regroupement Aquitaine, Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon.
Depuis deux ans, nous voyons à l’œuvre les gouvernements de François Hollande. Ils ont été incapables de tenir une ligne constante et cohérente en matière de décentralisation. L’acte III a été dépecé, saucissonné, malaxé par les différents lobbys.
Ce projet de fusion des régions est tombé par hasard, au milieu d’une conférence de presse, en guise de contre-feu. Ce sujet est tellement important qu’il ne mérite pas le sort qui lui est réservé, pas plus que la réforme du conseiller territorial, dont Monsieur Vallini, en charge de ce dossier, fait aujourd’hui l’éloge, ne méritait l’abrogation pure et simple.
Ce projet, qui parle pourtant d’efficacité de l’action publique, est silencieux sur l’évaluation des politiques publiques, comme sur la mutualisation des moyens des collectivités. Vous avez raison, il faut avancer et il faut avoir le courage d’entamer cette réforme.
Mais vous avez tellement reproché dans le passé, le manque de considération de l’Etat à l’égard des collectivités que nous ne pouvons accepter une réforme à l’emporte-pièce, sans concertation, et qui, telle qu’elle est partie, passera malheureusement à côté de l’objectif assigné